A peine sorti de sa précédente aventure, l’agent Eytan Morg doit reprendre du service. L’affaire le touche directement puisqu’un de ses proches amis a été enlevé. Mais lorsqu’il s’agit de mettre hors d’état de nuire une menace de grande ampleur, Eytan n’est pas le dernier à se jeter corps et âme dans l’enquête. Seulement cette fois il lui faudra changer ses habitudes de solitaire et faire équipe avec un ennemi farouche. Ses investigations le mèneront d’abord en République Tchèque pour éclaircir les circonstances d’un événement particulièrement meurtrier.
La grande histoire dans la petite, pour un résultat complexe et captivant
Le Projet Shiro plonge le lecteur face à une menace sournoise : microscopique mais capable de tuer à grande échelle. Ce genre de danger donne un sentiment d’urgence et crée une tension permanente. Impossible de contrôler et de mettre à terre ce qui est invisible et difficile de s’en protéger. Tout en offrant cette thématique somme toute très actuelle, David S. Khara en profite, comme dans le premier volume, pour rappeler un passé pas si lointain avec ses horreurs et leurs conséquences à court et long terme. Il en résulte une lecture oppressante, parfois fascinante, où la curiosité se mêle au rejet des atrocités commises et à la volonté de connaître le fin mot de l’histoire. Le scénario est fouillé, jonglant entre diverses époques et protagonistes, apportant des rebondissements et des révélations surprenants.
L’auteur tient le lecteur en haleine grâce à son style efficace. La narration est très bien équilibrée et les pages défilent à une vitesse folle. Bien que l’enquête d’Eytan soit pressée par le temps, le récit sait également prendre son temps afin de poser les éléments importants, les décors ou encore les personnalités, donnant ainsi corps à l’univers. Une fois lancé dans la lecture, il devient difficile de décrocher tant tout s’enchaîne de façon fluide et avec suspense.
L’être humain au cœur de l’intrigue
A eux deux, les héros expriment une grande palette de comportements et d’émotions : maturité, impulsivité, colère, compassion… Extrêmement différents de par leur vécu et leurs motivations et alors que tout semble les opposer, ils restent malgré tout très proches l’un de l’autre et attachants chacun à leur manière, malgré leurs défauts. C’est là une des grandes forces de ce roman que de réussir à attirer sympathie, compassion et attachement du lecteur même pour des personnages a priori antipathiques et/ou dans “le mauvais camp”.
L’évolution des rapports entre les deux protagonistes est un point majeur de ce roman, au même titre que la menace mortelle qui pèse sur le monde. Le Projet Shiro permet de mieux connaître ces tueurs redoutables, d’appréhender toute leur complexité, de comprendre leur vision du monde ainsi que ce qui les a amenés à être tous deux ce qu’ils sont devenus.
Les personnes qu’ils sont amenés à croiser ne sont pas en reste. Du petit journaliste inconscient des enjeux d’une telle enquête en passant par l’ennemi qui embauche Eytan, tous ont été dotés d’une personnalité crédible, ce qui permet de s’attacher à eux, de les mépriser ou, du fait d’ambiguïtés développées, de ne savoir comment se positionner par rapport à eux.
L’humain est donc encore une fois au cœur du développement, les personnages tentant de comprendre leur rôle au milieu des folies qui les entourent. Les conséquences des expérimentations de Shiro et de Bleiberg, qui font froid dans le dos, montrent des ramifications imprévisibles et surprenantes, scientifiquement bien sûr mais également de façon personnelle pour les hommes et femmes qui se trouvent sur leur chemin, de la guerre et à aujourd’hui.
Une complexité appréciable, des questionnements profonds
En plus de servir un récit rythmé et haletant, Le Projet Shiro aborde des questionnements assez forts. L’auteur ne se contente pas de nous servir les gentils contre les méchants. En effet, tout en mettant l’humain au centre de toute action, il incite à se poser des questions, le force à percevoir la problématique selon un autre point de vue, parfois opposé au sien, jusqu’à questionner la notion de bien et de mal mêmes. Cela commence par le héros : Eytan Morg, à la fois tueur implacable et protecteur de la vie des innocents, qui se retrouve à travailler avec ses ennemis pour le bien de ces derniers. Difficile pour les héros eux-mêmes de s’y retrouver par moments, leurs convictions personnelles sont mises à rudes épreuves, tout comme leur intégrité morale. La fin justifie-t-elle les moyens ? La question est abordée à de nombreuses reprises.
Face à l’horreur et au stress l’auteur oppose de façon bienvenue quelques pointes d’humour et des instants plus innocents qui touchent aussi bien des citoyens lambda que les tueurs de longue date, permettant ainsi au lecteur comme aux protagonistes de reprendre son souffle avant de continuer la lecture ou la lutte.
Une intrigue habilement construite servie par un style fluide où se mêlent subtilement tension et légèreté, des personnages d’une densité incontestable, des thématiques actuelles scientifiques et humaines, Le Projet Shiro est encore une belle réussite pour les Editions Critic et David S. Khara. Encore plus abouti que Le Projet Bleiberg, l’auteur évolue une nouvelle fois et offre une lecture des plus prenantes. Rendez-vous est pris avec plaisir pour Le Projet Morgenstern, troisième opus annoncé de la série.